Comment pourrait-on s’ennuyer dans le train ? Dans ces wagons petits ou grands, voitures de première ou seconde classe, tout est possible. Quand on prend le temps d’y réfléchir, il est assez rare que la vie nous offre cette opportunité : être coincé pendant quelques heures dans un espace confiné avec de parfaits inconnus.
Il arrive même qu'un passager vous rappelle quelqu’un : une star ou un ancien de la classe de 6è B. Les inconnus prennent soudain une forme, un visage et une voix.
Et alors, tout peut arriver.
L’ennui ne caractérise pas le trajet ferroviaire. C’est votre état d’esprit qui définira le voyage que vous vivrez.
En premier lieu, une inquiétude pourrait vous prendre. Vous êtes enfermé dans un petit espace clos avec de mystérieux individus.
Dans ce contexte, tout peut arriver, même le pire.
Demandez à Enola Holmes, petite sœur du célèbre Sherlock Holmes pour Netflix, et à Anastasia du dessin animé du même nom, si elles n’ont pas dû sauter d’un train en marche pour échapper à une mort certaine.
L’antipathique Ratchett reçoit d’ailleurs ses multiples coups de poignards à bord de l’Orient-Express, dans l’œuvre d’Agatha Christie "Le crime de l’Orient-Express".
Brad Pitt, au Japon, est exténué de bagarres dans Bullet Train.
Chez J.K Rowling, Harry Potter se retrouve nez à nez avec des détraqueurs dans le Poudlard Express.
Et dans un espion qui m’aimait, James Bond envoie valdinguer Requin par la fenêtre de sa cabine.
Beaucoup d’exemples nous le prouvent : le train, en ne proposant aucune issue, est un lieu propice à la baston.
Le risque de la mauvaise rencontre n’est pas l’unique tourment du transport ferroviaire. Il existe un malaise intrinsèque au train. Serait-ce à cause de son bruit ? Entre son crissement digne d’un cri de
Nazgul, spectre de l’univers de Tolkien, ou bien son pas régulier à la sonorité d’acier, ou encore le sifflement de cette pourfendeuse d’air qu’est le TGV, le train s’exprime en sonorités stressantes.
Sans aucun doute, ces bruits expliquent cette angoisse latente qui nous accompagne, mais ils n'en sont pas la seule raison. En effet, dans des tableaux comme "Pluie, Vapeur, Vitesse" de William Turner, ou même les nombreuses peintures de la Gare Saint Lazare de Claude Monet et de Paul-César Helleu, une ambiance assez étrange, presque gênante, ressort avec le train. Pourtant, le silence y est absolu.
Chez le peintre américain Edward Hopper, on retrouve aussi une inquiétude latente dans ces atmosphères de chemins de fer. On ne la comprend pas vraiment, mais elle est là.
Il y a une forme de solitude peut-être, qui sait ?
Compartment C Car, Edward Hopper, 1938
Dans tous les cas, il y a ce je-ne-sais-quoi qui dérange légèrement. Le train, entre bruit et souvenir de la vapeur, la suie, le noir d’un brouillard épais et irrespirable, rappelle, avec stress, un sentiment qui nous est brouillé.
Certainement est-ce parce qu’il est une merveille de l’industrie que le train revêt un charme inquiétant ?
Il faut bien reconnaître que la vitesse de certains peut épater. Le TGV fait partie de notre quotidien désormais, mais on oublie qu’avec une vitesse commerciale de 320km/h, il est le quatrième train le plus rapide au monde. Le premier étant un train Maglev, pour Magnetique Levitation, en Chine, battant le vent à 460km/h.
Cependant, déjà au siècle dernier, avant ces prouesses de vitesse, le train fascinait. Entre la Lison d’Emile Zola et les tableaux de Fernand Léger, il semble qu’on s’entiche facilement de la beauté de la locomotive et sa mécanique.
Cette dernière, parfois magnifique, peut également se révéler traitresse, meurtrière même. C'est bien le cas du jeune Saroo du film indien "Lion". Perdu à 5 ans, à l’autre bout du sous-continent, sa vie bascule à cause de deux trains. Le premier, dans lequel il s’endort, bouscule son existence en l’emmenant loin. Et le second percute et tue son frère.
Ou alors, si vous êtes dans un mood romantique, sachez que le train est peut-être encore mieux que Tinder. Allez-vous rencontrer la personne qu’il vous faut au wagon-bar ?
Vous raconterez alors à vos petits-enfants comment vous avez croisé le regard de votre dulcinée en faisant la queue au WC dans ce train-couchette entre Bruxelles et Berlin. Peut-être commencerez-vous comme ceci : « Une nuit que j’étais, à me soulager, dans quelques toilettes bien faites, du cœur de la SNCB. »
C'est difficile de trouver des comédies romantiques faisant référence au train. En effet, ce genre cinématographique paraît plutôt exacerber l’avion et la fameuse scène d’aveu amoureux à l’aéroport. Si ce n’est dans le Bollywood intitulé Chennai Express, le train paraît se prêter plus à l’image de la rupture que de la rencontre. En effet, la comédie romantique fait souvent se séparer les couples dans une gare. L’un monte dans le wagon, l’autre reste sur le quai, comme dans Les Poupées Russes de Cédric Klapisch.
Si le train permet une métaphore visuelle de la cassure au cinéma, dans la réalité, il est le décor idéal pour une rencontre opportune.
En étant un espace clos où des inconnus ont pour point commun d'aller au même endroit, le train est idéal pour les amours débutants. La destination peut briser la glace. Puis petit à petit que le paysage défile, la conversation peut se faire fluide. « Coup de foudre au Pôle Nord Express » ou encore « Un amour à la gare » sont des titres plausibles pour nos prochains binge watching de romances nunuches et attendues.
En définitive, rien n’empêche que vous viviez une rencontre cute dans un TER de notre bonne vieille SNCF.
Seulement, si votre trajet ressemble à ceux que nous vivons habituellement, il y a des chances que vous ne croisiez ni détraqueurs ni Edward Hopper, encore moins Brad Pitt, quoiqu’il est possible que vous aperceviez Romain Duris et que vous rencontriez votre futur date.
En toute logique, je vous dirais d’y croire, tout réside dans l’état d’esprit. Seulement, il ne faut pas se leurrer. Le train ce n’est pas Marvel non plus. Alors, pour éviter de vous ennuyer, il ne vous reste que des banalités. Lisez, écoutez de la musique, regardez un film, travaillez, jouez, admirez les étendues à la fenêtre, dormez, riez, ou encore, idée folle, discutez avec votre voisin ; enfin, vivez quoi !
Ne l’oubliez pas, le train ne reste que le trajet. La destination, elle, vous guidera. Que vous soyez comme Angèle dans son clip « Bruxelles, je t’aime », en chemin pour rentrer chez vous ou bien, au contraire, en route pour de nouveaux horizons, votre trajet sera surtout défini par votre destination.
Mélancolie, excitation, nostalgie, hâte, le cœur serré ou bien les papillons dans le ventre, les mains moites avec un mal de crâne ou repu et prêt à entamer vos vacances, vos émotions seront directement liées à votre lieu d’arrivée.
Boit-on une tasse de thé pour se mettre en jambes dans l’Eurostar ? Pleurons-nous entre deux gares dans ce TER qui nous emmène à des funérailles ? Entraînons-nous, dans les couloirs du TGV, à cette chorégraphie improvisée et surprise pour le mariage de notre cousin ? Ou bien regardons-nous le paysage en s’étonnant déjà de voir que le voyage a commencé dès que le chef de gare a sifflé ?
Le transport ferroviaire est une transition indispensable entre votre lieu d’arrivée et votre endroit de départ.
Alors, laissez vous guider par votre voyage. C’est lui, en réalité, qui vous montrera à quel point il est impossible de s’ennuyer dans le train.