“Le train est beaucoup trop cher en France. La clé, c’est l’ouverture du marché !” Voilà une remarque que l’on entend souvent et qui fait débat. Il faut dire que depuis l’ouverture à la concurrence en France, la question se pose : est-ce que l’arrivée de nouveaux opérateurs (comme Trenitalia) permet vraiment de faire baisser les prix ? Pour ce troisième épisode de notre mini-série spéciale “prix du train” sur notre podcast Je t’offre un rail ?, après le regard d’une ONG, et celui de SNCF Voyageurs, c’est à Trenitalia France de nous apporter son point de vue. Installée en France depuis fin 2021, la filiale française de l’opérateur historique italien propose notamment ses Frecciarossa sur l’axe Paris-Lyon. Sa promesse : des prix simples, une qualité premium, et… une autre vision du modèle économique ferroviaire.
Alors, la concurrence peut-être faire baisser le prix du train ? Décryptage, avec Marco Caposciutti (président Trenitalia France), et Fabrice Toledano (directeur marketing et commercial Trenitalia France).
Par souci de transparence, nous souhaitons préciser que la production de cet épisode a été financée grâce à Trenitalia France. Nous ne pouvons donc prétendre à une totale indépendance, cependant, nous avons eu carte blanche sur les questions et avons fait de notre mieux pour rester objectifs, notamment en donnant la parole à d’autres acteurs aux intérêts divergents comme SNCF Voyageurs (épisode à découvrir ici).
Selon Fabrice Soledano, le principal poste de dépense d’un opérateur ferroviaire, ce sont les péages, qui représentent 45 % de l’ensemble des coûts et sont reversés à SNCF Réseau. Un montant fixe, dû à chaque circulation de train, indépendamment du taux de remplissage.
Pour mieux comprendre ce modèle de “redevance d’usage”, on te renvoie vers cet article !
“Comme une voiture qui paie l’autoroute, à chaque fois qu’un train circule, on paie une redevance à SNCF Réseau”, précise-t-il. Une charge d’autant plus critique que, selon Marco Caposciutti, les péages français sont jusqu’à 3 à 4 fois plus élevés qu’en Italie.
Quant aux autres postes de dépenses, ceux de Trenitalia France concernent :
“Les études ont démontré qu’une baisse des péages pourrait être utile pour l’augmentation de l’offre et la diminution des prix des billets. Or en France, le coût des péages est élevé”, souligne Marco Caposciutti. Mais si Trenitalia soutenait jadis la nécessité d’une baisse des péages*, Trenitalia admet aujourd’hui que le contexte budgétaire de l’État rend cette revendication peu réaliste. “Nous comprenons que la situation actuelle rend cette réduction complexe. On se concentre donc sur l’optimisation des coûts et l’augmentation du nombre de voyageurs” , explique le président de la filiale française.
Et cet objectif est en bonne voie : entre 2023 et 2024, Trenitalia France a enregistré +40 % de voyageurs entre Paris et Milan. Une preuve, selon Fabrice Toledano, que “l’ouverture au marché permet de développer l’offre et ainsi d’attirer plus de monde vers le train, “souvent au détriment de modes de transport plus polluants.
*Si tu soutiens tout de même cette revendication, n’hésite pas à signer la pétition de notre association - Les Aventuriers d’HOURRAIL ! - pour demander la baisse des péages ferroviaires.
En Italie, la concurrence sur les trains à grande vitesse a commencé en 2012, avec Italo, un opérateur qui s’est posé en alternative à Trenitalia. Résultat : les prix ont baissé de 30 % sur certains axes (comme Rome-Milan), l’offre a doublé, et le nombre de villes desservies est passé de 40 à 112 ! “On pense souvent que la grande vitesse ne dessert que les grandes villes. En Italie, l’ouverture a permis de connecter davantage de territoires”, note Marco Caposciutti.
“On voit que les effets de l’ouverture à la concurrence ont été positifs à la fois pour les nouveaux entrants, mais aussi pour l’organisateur historique (Ndlr : Trenitalia), puisque cela a apporté une amélioration du service client, une baisse des prix et une meilleure desserte du territoire !” - Marco Caposciutti
En Italie, les péages ferroviaires servent à financer la maintenance “courante” de l’infrastructure, tandis que la maintenance “extraordinaire” est payée par l’État.
La clé du succès italien ? Une baisse stratégique des péages en 2015, soutenue temporairement par l’État. “En Italie, les péages sont aujourd’hui 3 à 4 fois plus bas qu’en France”, souligne le président de Trenitalia France. Cela a favorisé une explosion de l’offre (“à la fois pour Trenitalia, pour Italo et pour les autres entreprises ferroviaires qui sont entrées sur le marché italien”). Finalement, le secteur ferroviaire italien a connu retour à l’équilibre, sans subventions !
Quid de l’environnement ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes : il y a 10 ans, avant l’ouverture à la concurrence, 80 % des trajets entre Rome et Milan se faisaient en avion contre 20 % seulement en train. Aujourd’hui, le ratio s’est totalement inversé (80 % en train contre 20 % en avion) !
L’exemple italien nous le confirme : l’ouverture à la concurrence peut faire baisser les prix. “Selon les chiffres de distributeurs multi-opérateurs comme Trainline ou Omio, les prix du trajet Paris-Lyon ont baissé de 10 %, seule ligne actuellement en concurrence”, se réjouit Fabrice Toledano.
Mais cette politique tarifaire est rendue possible par :
En effet, l’Autorité de régulation des transports (ART) a mis en place une réduction du coût des péages de 3 ans pour les nouveaux entrants. En effet, “les nouveaux entrants ont des investissements importants à faire pour pénétrer le marché Français, pour homologuer ses trains, se faire connaître, etc., explique Fabrice Toledano. Donc cette réduction temporaire permet d’équilibrer cette différence objective de traitement au démarrage. Et cela nous a permis de construire notre clientèle le temps d’arriver à un équilibre économique.”
Pas de hausse prévue pour autant. Fabrice Soledano se veut rassurant : “On garde notre grille tarifaire. On mise sur la croissance du trafic pour absorber les coûts.”
Contrairement aux critiques d’“élitisme ferroviaire”, Trenitalia met en avant sa politique de dessertes locales.
Ainsi, sur la future ligne Paris-Marseille (lancement prévu le 15 juin 2025), des arrêts sont prévus à Aix-en-Provence, Avignon et Lyon Saint-Exupéry. Et sur la ligne Paris-Milan, les stations alpines comme Saint-Jean-de-Maurienne ou Houx sont desservies.
“Notre vision, c’est une grande vitesse qui relie aussi les territoires”, insiste Marco Caposciutti. Un modèle déjà visible en Italie.
L’opérateur envisage déjà d’étendre ses services hors de Paris, voire d’ouvrir des liaisons vers l’Allemagne (via Munich) grâce à une coopération avec la Deutsche Bahn. Un horizon envisagé autour de 2028-2029, sous réserve de nouvelles rames, dont les carnets de commande sont pleins.
En conclusion, le message de Trenitalia est clair : en ouvrant la concurrence, il est possible de faire rouler des trains moins chers, avec un haut niveau de service, sans subventions publiques, à condition de jouer sur l’innovation, la maîtrise des coûts, et l’augmentation de la fréquentation.
Alors, la concurrence pourrait-elle être l’une des clés pour changer durablement la donne ? Comme le souligne Marco Caposciutti, la flexibilité reste essentielle : dans les dessertes, dans les prix, et même dans la capacité des trains, avec la mise en circulation de rames en double composition pour absorber la demande pendant les pics.
Pour aller plus loin
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