La transition énergétique des transports fait assurément partie des enjeux les plus complexes du siècle. Où en est-on en France ? Peut-on espérer atteindre une neutralité carbone dans le transport d’ici 2050 ? Notre salut viendra-t-il de la technologie, et un “avion vert” est-il réellement possible ? Autant de questions auxquelles Aurélien Bigo a répondu sans détour au micro de Tolt pour notre podcast “Je t’offre un rail ?”, en partenariat avec SNCF Connect.
Chercheur indépendant engagé dans l'étude de la transition énergétique des transports, Aurélien Bigo s’est penché à travers sa thèse (soutenue à l’Institut Polytechnique en 2020) sur la façon dont nous pouvions atteindre nos objectifs climatiques dans le secteur des transports, et notamment en France. Après un passage par l’ADEME pour contribuer à la création des scénarios de prospective Transition 2050, il se consacre aujourd’hui aux transitions de nos mobilités à travers ses deux approches complémentaires, la recherche et la vulgarisation.
Dans cet article, on te résume les idées clés développées dans l’épisode (mais on te recommande chaudement d’aller l’écouter en entier). Plongée dans l’un des plus grands défis de notre temps : l’impact de nos mobilités sur le climat !
Aujourd’hui, les transports (de voyageurs et de marchandises) représentent environ 30 à 33 % des émissions de gaz à effet de serre en France. Sur le podium en première et seconde position : la voiture et l’avion.
Les voitures, qui dominent deux tiers des trajets en France, sont les principales responsables de ces émissions. Pour mieux comprendre la situation actuelle, Aurélien Bigo nous propose de regarder dans le rétroviseur :
“En seulement un siècle, on est passés de la marche à la voiture comme moyen de transport principal ! Ce qui a des conséquences aussi bien en temps de transport, en nombre de trajets et en kilomètres parcourus.”
Aujourd’hui, la marche ne représente plus qu’un quart de nos déplacements, devant les transports en commun - dont le train - qui ne représentent que 10 à 15 % des trajets, et le vélo qui n’en représente que 3 à 4 %.
En un siècle, les Français ont conservé une moyenne d’une heure de transport par jour, mais l’augmentation drastique de la vitesse de transport (x 10 à 12) leur permet désormais de parcourir 50 kilomètres par jour en moyenne, contre 4 à 5 kilomètres auparavant. En résumé, on passe chaque jour autant de temps à se déplacer qu'il y a 100 ans, sauf qu’on va plus vite et donc plus loin.“Avant, en 3 ou 4h, on pouvait changer de ville. Maintenant, on peut changer de région (en voiture) voire de continent (en avion)”.
Juste derrière la voiture, l’avion arrive en seconde position en termes de kilomètres parcourus et d’émissions de gaz à effet de serre en France (environ un tiers pour le transport de marchandises et deux tiers pour le transport de voyageurs).
Le secteur aérien représente ainsi 7 % des émissions de CO2 en France. Et au niveau international, c’est le seul secteur qui n’a pas commencé à réduire ses émissions.
Source : CITEPA Secten 2019 / Aurélien Bigo
Et malgré un ralentissement durant la crise sanitaire, son utilisation continuer d'augmenter.
Comme le souligne Aurélien Bigo, « l’avion pousse à une outrance kilométrique. » Bien que comparable à la voiture en termes d’émissions par kilomètre, il permet de parcourir beaucoup plus de distance en peu de temps, augmentant drastiquement les émissions globales par voyage.
Dans l’article de Carbone4 “Les idées reçues sur l'aviation et le climat”, on peut constater les différences “d’Intensité carbone” selon les types de transport pour un voyage de 400-1000 km, à court terme (hors construction) et long terme (avec construction) :
gCO2e/passager.km - Source : Carbone4.com - “Les idées reçues sur l'aviation et le climat”
On attribue généralement au secteur aérien 2 % des émissions mondiales de CO2. Mais ce chiffre double lorsqu’on inclut les effets hors CO2, comme les traînées de condensation et les émissions d’oxydes d’azote ! Ces impacts, bien qu’éphémères, s’accumulent avec la croissance du trafic aérien et amplifient l’impact sur le climat.
Si les professionnels de l’aérien affirment viser la neutralité carbone d’ici 2050, Aurélien Bigo émet plusieurs réserves.
L’idée que les innovations technologiques suffiront à atteindre la neutralité carbone est encourageante. Mais elle est aussi de plus en plus contestée.
Parmi les plus courantes, on parle beaucoup des carburants d’aviation durable (SAF pour Sustainable avion fuels). Pourtant, selon le chercheur, ils présentent des limites évidentes :
Les biocarburants : bien qu’ils puissent réduire les émissions, leur production nécessite des ressources limitées. Et notamment de la biomasse (tous les matériaux qui viennent des plantes : bois, huiles végétales comme par exemple l’huile de colza dans le biodiesel…), dont l’utilisation entre souvent en concurrence avec les usages alimentaires et la biodiversité !
Plantation de Colza (l’huile de colza étant très utilisée pour le biodiesel européen)
Les carburants de synthèse : ils nécessitent d’importantes quantités d’hydrogène et de CO2, produits grâce à une électricité bas carbone. Or, la demande en électricité serait massive : atteindre la neutralité carbone avec ces carburants nécessiterait l’équivalent de la moitié de la production électrique actuelle d’un pays comme l’Allemagne ou la France !
« Pour les voitures ou le transport routier par exemple, ces carburants de synthèse ne sont pas privilégiés car il faut 4 à 5 fois plus d'électricité pour faire rouler une voiture avec des carburants de synthèse que directement pour une voiture électrique à batterie. Donc si ces carburants de synthèse sont malgré tout envisagés par le secteur aérien actuellement, c'est uniquement parce qu’il n’y a pas vraiment d'autres alternatives à disposition pour décarboner la longue distance. »
Quant à l’hydrogène et à l’électrique : ces solutions sont limitées aux trajets courts et restent incertaines pour les moyens et longs courriers. Elles posent aussi des questions de soutenabilité : “Il y a plusieurs secteurs qui vont être amenés à davantage s'électrifier dans cette transition. Donc réserver des parts aussi massives, aussi importantes de production d'électricité pour le transport aérien, c'est très questionnant.” Et en ce qui concerne l’hydrogène, on te conseille cet article pour mieux en comprendre les enjeux.
Et pour aller plus loin, n’hésite pas à lire notre article sur les idées reçues autour de la décarbonation du secteur aérien.
Pour le chercheur, le constat est clair. Comme le résume Tolt : « Croire en l’avion vert aujourd’hui, c’est vivre dans un arc-en-ciel. »
« Le secteur aérien est passé de climato-sceptique à climato-rassuriste à techno-solutionniste. Mais on se rend bien compte que le techno-solutionnisme actuel, ça ne fonctionnera pas. »
« Désormais, jusqu’au niveau du secrétariat général à la planification écologique (SGPE) - qui est rattaché au premier ministre - on revoit de plus en plus à la baisse les hypothèses du transport aérien. Les scénarios ne bouclent pas : on a trop de demandes de biomasse et d'électricité par rapport à la production qu'on peut raisonnablement envisager, et on ne pourra pas atteindre la neutralité carbone de cette façon en 2050. »
Pour aller plus loin, on te conseille cette interview d’Aurélien Bigo dans Polytechnique Insights.
Face à l'insuffisance des solutions technologiques et aux contraintes énergétiques, une planification de la sobriété semble indispensable. Finalement, comme le souligne le Réseau Action Climat, la question n’est plus “Faut-il réduire le trafic aérien” mais “Comment réduire le trafic aérien de manière juste et efficace ?”.
Aurélien Bigo propose ici un concept essentiel : la sobriété kilométrique, qui consiste à limiter les distances parcourues plutôt qu’à simplement décarboner les moyens de transport. Alors que l’aviation favorise une surconsommation des kilomètres, l’abandon de l’avion pour des trajets plus locaux peut drastiquement réduire les émissions.
Une vision qui rejoint celle de Jean-Marc Jancovici (que l’on a également reçu sur le podcast), qui invite à repenser le dépaysement et le voyage pour aller vers une sobriété choisie (et non subie).
En France, le train représente déjà 10 à 15 % des trajets, et on n'a jamais fait autant de kilomètres en train qu'aujourd'hui en France (notamment depuis le développement du TGV). Mais s'agit-il d'une boom du ferroviaire ou d'un boom des mobilités ? Pour Aurélien Bigo, la question est la suivante : "À quel point ce "plus de train" permet de faire "moins d'avion" et "moins de voiture" ?"
Il encourage également “l’intermodalité” (“à titre personnel, je combine le train et le vélo”) pour répondre aux besoins de déplacements quotidiens ou longue distance sans recourir à la voiture ni à l’avion.
Car le chercheur nous le rappelle : cette transition exigera une approche systémique et collective, mêlant innovation, réformes politiques ambitieuses et changement de comportements. Et du côté des comportements, puisque la réduction du trafic aérien et routier semble inévitable pour atteindre les objectifs climatiques, le train apparaît comme une alternative de choix !
Et par leurs témoignages, les invités de "Je t’offre un rail ?" nous montrent justement que le voyage en train n’est pas qu’une alternative durable. C’est aussi une aventure à part entière qui invite à repenser nos façons de voyager !
Pour ne rater aucun épisode et faire le plein d’inspiration avec nos invités, n’hésite pas à t’abonner au podcast sur tes plateformes d’écoute préférées. Merci à notre partenaire SNCF Connect, l'application de référence pour le train et les mobilités durables qui accompagne plus de 15 millions d'utilisateurs dans leurs déplacements en France et en Europe.
Et pour suivre le travail d'Aurélien Bigo sur les transitions de nos mobilités, rendez-vous sur Linkedin, sur sa page dédiée du site de la Chaire Énergie et Prospérité, ou dans son livre "VOITURES - Fake or not ?" !