Dans l'imaginaire collectif, l'Orient Express évoque l’aventure, le luxe et les histoires d'espions et de diplomates traversant l'Europe. Derrière ce train mythique, qui a inspiré la littérature et le cinéma - du "Crime de l'Orient Express" d'Agatha Christie aux "Bons baisers de Russie", le deuxième film de James Bond - il y a surtout 140 ans d’histoire ferroviaire.
Pour notre podcast Je t’offre un rail ? en partenariat avec SNCF Connect, nous avons reçu Arthur Mettetal, historien des chemins de fer et spécialiste du patrimoine ferroviaire et industriel. Spécialisé dans la gestion de fonds d’archives et collections d’entreprise, il est également délégué général du Fonds de Dotation Orient Express. Il vient d’ailleurs de sortir un livre, Orient-Express. Une histoire et un patrimoine d'entreprises (19e-21e siècle), aux éditions Classiques Garnier.
Au micro de Lisa, il revient sur l’héritage passionnant de l’Orient Express pour le développement technologique, économique et culturel du monde ferroviaire. Embarquement immédiat pour un voyage dans le temps…
L'histoire de l'Orient Express prend racine dans le voyage d'un jeune ingénieur belge aux États-Unis. En 1869, Georges Nagelmackers découvre le concept révolutionnaire de la voiture-lit, inventée par George Pullman. Comme l'explique Arthur Mettetal : « À cette époque, on envoyait les jeunes hommes de bonne famille aux États-Unis pour observer et ramener des idées novatrices en Europe. » Ce phénomène, connu sous le nom d'américanisme, allait transformer le paysage ferroviaire européen.
De retour en Europe, Nagelmackers entreprend d'adapter ce modèle au continent, avec l'ambition d'y ajouter les standards de luxe européens. En 1876, il fonde la Compagnie Internationale des Wagons-Lits, posant ainsi les bases de ce qui deviendra l'Orient Express. Le 4 octobre 1883 marque le voyage inaugural reliant Paris à Constantinople, une date qui restera gravée dans l'histoire du rail.
Tu cherches des conseils pratiques, des retours d’expérience et une bonne dose d’inspiration pour ton prochain voyage en train ? Installe-toi confortablement et mets tes écouteurs dans les oreilles : embarquement immédiat pour “Je t’offre un rail ?”, le podcast qui va te rendre accro au train, en partenariat avec SNCF Connect !
Ce qui faisait la spécificité du luxe ferroviaire à l’époque ? : « Des boiseries, des marqueteries, du cuir, et des lits où l'on dormait aussi bien que dans un hôtel parisien... » ,
Les voitures-restaurants incarnaient l'excellence gastronomique française :
« Les arts de la table étaient omniprésents, avec de l'argenterie Christofle et des menus élaborés pour rivaliser avec les meilleures tables parisiennes. » - Arthur Mettetal
Quant au service, il était tout aussi remarquable : « Les conducteurs, qui n'étaient pas les mécaniciens, étaient responsables du bien-être des passagers. Ils géraient tout, des bagages à la sécurité en passant par les demandes les plus spécifiques », explique Arthur. On te laisse imaginer l’expérience !
« À travers ce train, la Compagnie des Wagons-Lits offrait une possibilité unique de vivre l'orientalisme, un courant artistique et culturel majeur de l'époque », explique Arthur Mettetal.
Très vite, le train devient alors un pont entre plusieurs cultures et attire une clientèle variée : des aristocrates aux diplomates en passant par les touristes en quête d'aventures. Constantinople représentait alors bien plus qu'une simple destination : « Il faut bien avoir en tête que ce n'est que la porte de l'Orient. Une fois qu'on est à Constantinople ou à Istanbul, on est au début d'un nouveau voyage encore plus en Orient et au Moyen-Orient. »
L'architecture historique de la gare de Sirkeci, terminus de l'Orient Express à Istanbul (Turquie)
En 1930, avec la création du Taurus Express, il devient même possible de relier Londres-Paris-Le Caire et Bagdad en 7 à 8 jours, un exploit remarquable pour l'époque !
D’un point de vue diplomatique, la mise en service de l'Orient Express représentait également un véritable exploit. En effet, la prouesse de Nagelmackers réside aussi dans sa capacité à fédérer différents acteurs autour d'un projet commun dans un contexte européen complexe. « Une véritable prouesse entrepreneuriale pour l'époque ! »
« Il y avait non seulement des empires et états qui n'étaient pas forcément dans de très bonnes relations, notamment la Prusse et la France après la guerre de 1870, mais aussi, avant 1938 et la création de la SNCF, chaque territoire est divisé en plusieurs réseaux ferroviaires», explique l'historien. En France, le réseau était en effet fragmenté entre la Compagnie du Nord, la Compagnie de l'Est, la Compagnie du Midi, et la Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée).
« Ce qui est intéressant, c'est la capacité de Georges Nagelmackers à convaincre des réseaux ferroviaires européens très morcelés de collaborer. À cette époque, traverser plusieurs pays avec un seul train relevait d'un véritable exploit technique et diplomatique. »
L'une des innovations majeures portées par la Compagnie des Wagons-Lits fut l'introduction du bogie sur le continent européen. Ce système, consistant en un chariot supportant la caisse de la voiture, permettait de prendre des courbes plus importantes tout en améliorant significativement le confort des passagers grâce à un meilleur amortissement des chocs. Cette innovation technique, rapidement adoptée par les autres compagnies ferroviaires européennes, illustre parfaitement le rôle moteur de l'Orient Express dans la diffusion des avancées technologiques à travers le continent.
Au-delà de ses innovations techniques, l'Orient Express a joué un rôle crucial dans la modernisation du transport ferroviaire européen. La nécessité de faire circuler des voitures luxueuses sur différents réseaux a conduit à une standardisation technique sans précédent. « C'est vraiment une part importante de l'histoire de l'innovation et des techniques », explique l'historien. « Il a fallu uniformiser et faire que les réseaux s'entendent pour faire circuler un matériel qui soit identique sur des trajets aussi longs. »
Si tu es arrivé sur cet article, c’est sûrement parce que tu as entendu parler de 'Orient Express dans un livre, un film ou encore dans une vidéo Youtube (comme l’illustre par exemple la récente vidéo de l’influenceuse Léna Situations).
Et pour cause, l’Orient Express a profondément marqué la culture populaire. Le roman d'Agatha Christie Le Crime de l'Orient Express (1934) s'inspire d'un fait réel où le train fut bloqué dans la neige. Les archives de la compagnie conservent d'ailleurs une lettre de remerciement signée par une vingtaine de passagers, témoignage précieux de cet événement !
L'ambiance historique de la gare de l'Orient Express, en Turquie
Le train a également nourri de nombreuses légendes urbaines. Si certaines histoires d'espionnage ou d'attentats ne sont pas toujours vérifiables dans les archives, elles continuent d’enrichir le mythe...
L'Orient Express continue d'inspirer le secteur ferroviaire moderne, avec de nombreux héritiers.
Le Venice Simplon-Orient-Express perpétue la tradition avec son expérience luxueuse d'époque, tandis que le groupe Accor, l’un des détenteur de la marque, développe une vision contemporaine en réinterprétant les codes art déco. Citons également le projet Dolce Vita Orient Express (dont on te parle en détail dans cet article) qui, dès 2025, reliera Rome, Venise et Palerme en célébrant le design, la gastronomie et le patrimoine italien.
Bien que critiquée pour son caractère élitiste, cette renaissance du luxe ferroviaire pourrait jouer un rôle positif dans la transition écologique. En effet, proposer des alternatives ferroviaires prestigieuses pourrait inciter les voyageurs fortunés, dont l'empreinte carbone est particulièrement élevée, à repenser leurs habitudes de voyage. Ces trains, qui en font rêver plus d’un, permettent également d’initier des projets plus accessibles et de démocratiser le train dans sa globalité.
Nous pensons également à Midnight Train, qui ne verra malheureusement pas le jour, mais qui aurait créé un nouveau type d'hôtel sur roues, proposant une expérience contemporaine et accessible du voyage nocturne en train. Et cela, comme le dit son fondateur Adrien Aumont, dans l’objectif d’« offrir aux voyageurs une option sérieuse face à l’aviation moyen-courrier ». Bien que n'ayant pas abouti, cette initiative illustre la diversité des projets inspirés par l'héritage de l'Orient Express, allant du luxe traditionnel à des concepts plus modernes et inclusifs.
Dans un registre plus accessible, des opérateurs comme l'ÖBB avec ses Nightjet ou la SNCF avec ses trains de nuit s'inspirent de cet héritage pour démocratiser le voyage nocturne sur rail. Si l'Orient Express était historiquement réservé à une élite, son influence a contribué à moderniser le réseau ferroviaire européen et à inspirer des services plus inclusifs !
« L'Orient Express, c'est un impact majeur, un nom, un train et une marque, qui permet d'aborder une histoire totale (on peut s'intéresser à l'histoire technique, sociale, culturelle, économique...). Une spécificité qui fait qu'il y a plein d'enjeux et d'acteurs », conclut l’historien.
Pour aller plus loin, on t’invite à découvrir le livre d’Arthur Mettetal, Orient-Express. Une histoire et un patrimoine d'entreprises (19e-21e siècle).
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