“Pourquoi le train est-il si cher en France ? Et que font nos politiques ?” Voilà une question au cœur des débats sur la mobilité et la transition écologique. Car si le train reste l’un des modes de transport les plus durables, son coût pour l’usager peut constituer un frein majeur à son développement. Quelles marges de manœuvre existent, à l’échelle politique, pour faire évoluer le modèle ?
Dans ce dernier épisode de notre série spéciale “prix du train” de notre podcast Je t’offre un rail ? (le podcast qui te rend accro au train), nous avons donné la parole à François Durovray, Président du département de l’Essonne, ancien ministre délégué aux Transports. En fin connaisseur des rouages politiques de la mobilité, il nous apporte son éclairage sur les leviers d’action disponibles : péages ferroviaires, financement du réseau, concurrence, rôle des collectivités et de l’État… Un échange qui aide à mieux comprendre les coulisses d’un système complexe et les conditions, politiques autant qu’économiques, d’une éventuelle baisse des tarifs ferroviaires.
Le prix du billet de train en France suscite régulièrement incompréhensions et critiques. Contrairement à d’autres infrastructures comme la route, majoritairement financées par l’impôt, le ferroviaire repose sur un modèle où l’usager contribue largement au financement du réseau via les péages payés par les opérateurs. Ces péages peuvent représenter jusqu’à 40 % du prix d’un billet sur certaines lignes comme Paris-Lyon. François Durovray, fort de son expérience de terrain et ministérielle, souligne combien cette architecture économique est un choix politique, non neutre : le rail est plus cher parce que le contribuable y est moins impliqué.
“En France, en ce qui concerne l'automobile, 80 % des routes sont gratuites pour le contribuable. Pourtant, en ce qui concerne le train, on a fait le choix d’une participation assez élevée par l’usager puisque 40 % du prix du billet finance le péage ferroviaire.Il est indispensable que SNCF Réseau ait plus d’argent aujourd’hui pour entretenir le réseau : il manque environ 1,5 milliard d’euros. La priorité est-elle de mettre plus d’argent pour entretenir ce réseau, de baisser le prix des péages pour rendre le réseau plus accessible aux opérateurs, ou bien les deux à la fois ? C’est une question de société à se poser.” - François Durovray
François Durovray insiste cependant sur la nécessité de distinguer les services régionaux – fortement subventionnés – des grandes lignes, ouvertes à la concurrence et peu aidées. Ce dualisme rend le système complexe et parfois illisible pour l’usager. Il pose également la question de la cohérence : pourquoi demande-t-on à la SNCF de maintenir des lignes non rentables dans une logique d’aménagement du territoire, alors que ses concurrents peuvent se concentrer sur les segments profitables ? Selon lui, une réforme des règles du jeu s’impose afin que la solidarité territoriale ne repose pas uniquement sur l’opérateur historique.
L’ouverture à la concurrence est un processus en cours, avec l’arrivée d’acteurs comme Trenitalia ou Renfe. François Durovray exprime une réserve philosophique sur les vertus supposées du marché dans un domaine où la coordination, la robustesse et l’interopérabilité sont cruciales.
On peut toutefois citer l’exemple italien, où l’abaissement des péages a permis une explosion de l’offre, preuve qu’une concurrence encadrée peut servir l’intérêt général si l’État s’en donne les moyens.
Pour éviter une jungle tarifaire et une confusion dans les gares, il appelle de ses vœux un comparateur unique qui permettrait à l’usager de visualiser toutes les offres de façon neutre, unifiée.“Demain si on ne fait rien, il va y avoir dans les gares le guichet SNCF Connect, le guichet Trenitalia, le guichet Zou… Et on ne va plus s’y retrouver. Le chantier que j’ai voulu lancer, c’est d’inventer un système en France qui soit le “Kayak du rail” pour que l’usager ait accès à toutes les offres de manière très neutre.” Cette fluidité de l'information est selon lui un préalable à une concurrence bénéfique. Sans cela, c’est l’absurde morcellement du service public qui guette.
“On pourrait aussi imaginer baisser les prix du péage par deux en pariant sur le fait que la demande augmente - grâce au plus faible coût du train - et qu’il y ait deux fois plus de trains en circulation et donc plus de recettes. À mon sens, la vraie priorité en France est de développer l’offre. Et pour ce faire, il faut plus de trains. Si on veut changer de modèle, il faut accepter de répartir les recettes différemment.” - François Durovray
Qui paie, et pour quoi ? François Durovray rappelle une vérité souvent occultée : la route est gratuite pour l’usager, mais coûteuse pour le contribuable. Le rail, lui, est l'inverse. Ce déséquilibre structurel freine la transition écologique, alors même que le train est un mode de transport massivement décarboné. Faut-il alors faire peser davantage la fiscalité sur les modes polluants pour financer le ferroviaire ?
Il identifie deux pistes : utiliser les recettes futures de l’ETS (marché européen du carbone) à des fins de transition, et réorienter les profits des concessions autoroutières à l’issue de leur renouvellement. Ces choix impliquent de rompre avec la logique de silo budgétaire et de raisonner à l’échelle systémique. Le défi est immense, mais la fenêtre de tir existe : reconfigurer la fiscalité pour qu’elle devienne un levier écologique.
Selon François Durovray, le train ne pourra jamais répondre à tous les besoins et pour les territoires isolés, les lignes aériennes régionales – aussi coûteuses soient-elles – peuvent être vitales économiquement. L’ancien ministre des Transports s’oppose ainsi à un "avion bashing" trop caricatural. Pour autant, il reconnaît que des situations comme Pau-Orly, subventionnées à des niveaux extravagants, appellent à une rationalisation. C’est ici que l’exemplarité des élus devient essentielle : réconcilier paroles et actes pour crédibiliser la politique écologique.
Il aborde également le dilemme du progrès technologique dans l’aviation : l’électrique et l’hydrogène paraissent prometteurs, mais ils sont limités (pour aller plus loin, on te renvoie vers notre entretien avec Aurélien Bigo, “L’avion vert : mythe ou réalité ?”). Et plus que de technologie, nous avons surtout besoin selon lui d’un changement culturel, d’un imaginaire de la mobilité désirable et sobre.
Le récit dans la transformation écologique occupe une place centrale pour faire bouger les lignes. Loin d’une posture austère, c’est à une écologie du plaisir, de la lenteur et du lien au territoire que François Durovray appelle. Il rejoint ici une idée forte : pour entraîner les citoyens dans une transition, il faut que celle-ci soit désirable.
Cela suppose de réinvestir symboliquement certains gestes (et notamment celui de prendre le train) comme des actes de souveraineté, de dignité, de lien à la communauté. Là encore, l’enjeu n’est pas que technique, mais culturel. Et les élus, comme les artistes ou les entrepreneurs, ont un rôle à jouer dans cette réinvention de l’imaginaire.
Est-ce que les prix du train vont baisser ? “C’est une question de volonté politique et de volonté collective, répond-il. S’il y a une pression de nos concitoyens sur ce sujet, et si on le met dans le débat public en expliquant les grands enjeux (des péages ferroviaires, etc.), on pourra avancer. À mon sens, il faut mettre plus d’argent sur les infrastructures pour éviter qu’elles se dégradent, mais aussi mettre plus d’argent pour baisser le prix de l’usage collectif par rapport à l’usage individuel et donner un signal à la fois économique et écologique. Donc oui, le prix du train pourrait baisser.”
L’avenir du rail ne passera pas seulement par les TGV, mais aussi par la relance des petites lignes. François Durovray évoque avec enthousiasme des projets comme Dresy, un petit train autonome destiné aux zones rurales, plus souple, moins cher, plus adaptable. L’objectif : desservir des territoires aujourd’hui délaissés, sans reproduire les lourdeurs des infrastructures classiques.
Cette approche s’inscrit dans une philosophie de l’usage : penser la mobilité non pas à partir de l’infrastructure, mais à partir du besoin réel des usagers. C’est aussi une manière de reconnecter les politiques de transport avec les réalités locales, les usages quotidiens, les temporalités de vie.
Cet échange nous donne à voir un paysage contrasté : un système ferroviaire performant mais déséquilibré, une concurrence qui peut enrichir mais aussi fragmenter, une transition écologique pleine de promesses technologiques mais inégalement partagée. Ce qu’il montre surtout, c’est que le nerf de la guerre reste la volonté politique. Faire baisser le prix du train, développer l’offre, rendre le rail plus désirable : tout cela est possible, à condition de faire des choix, d’assumer des arbitrages, et de tisser un récit collectif cohérent. L’écologie des mobilités ne se fera ni contre les citoyens, ni sans eux. Elle sera populaire ou ne sera pas
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