“Les billets de train sont beaucoup trop chers en France !” Voilà une remarque que l’on entend souvent et qui fait débat. Où va l’argent de nos billets de train ? Pourquoi les TGV sont-ils si chers ? Après le regard extérieur d’Alexis Chailloux (responsable transport chez Réseau Action Climat), direction le terrain, avec un regard “de l’intérieur”. Dans ce deuxième épisode de notre série consacrée au prix du train sur notre podcast Je t’offre un rail ?, c’est en effet au tour d’Alain Krakovitch, directeur TGV-Intercités chez SNCF Voyageurs, de nous apporter des éléments de réponse.
Et en creusant un peu, on se rend vite compte que la question n’est pas si simple… Entre réalité du modèle économique ferroviaire, nécessité de renouveler un parc roulant coûteux ou encore contexte concurrentiel, Alain Krakovitch nous dévoile tout ce qui se cache derrière le coût du train en France. Décryptage.
Par souci de transparence, nous souhaitons préciser que la production de cet épisode a été financée grâce à SNCF Voyageurs (qui est d’ailleurs l’un de nos plus gros partenaires). Nous ne pouvons donc prétendre à une totale indépendance, cependant, nous avons eu carte blanche sur les questions et avons fait de notre mieux pour rester objectifs, notamment en donnant la parole à d’autres acteurs aux intérêts divergents comme Trenitalia (épisode à découvrir le 20 avril).
Contrairement à d'autres modes de transport, comme l’avion low-cost, le TGV ne reçoit aucune subvention directe de la part des collectivités ou de l'État. En d’autres termes, le coût intégral du service - qui implique l’achat et l’entretien des trains et la rénovation des infrastructures - doit être entièrement financé par la vente des billets.
Le TGV fait partie du service librement organisé, c’est-à-dire que ce sont les billets de train qui financent le coût du train et les investissements nécessaires. Le low cost aérien, lui, est subventionné par la collectivité, ou les CCI par exemple alors que le TGV ne l’est pas du tout.” - Alain Krakovitch
Un déséquilibre qui se retrouve non seulement dans les subventions, mais aussi dans les taxes, comme le soulignait déjà Alexis Chailloux dans le premier épisode de cette série sur les prix. En effet, en France, la TVA sur les billets de train est fixée à 10 %, alors que le secteur aérien bénéficie, lui, de deux exonérations fiscales majeures : aucune taxe sur le kérosène et une TVA à 0% sur les vols internationaux (10% sur les vols internes) ! “Cette asymétrie favorise indirectement l’avion au détriment du train, un non-sens écologique et économique”, soulignait-il.
Un facteur clé expliquant les tarifs élevés des billets TGV est la part importante que représentent les péages ferroviaires. Alain Krakovitch précise que ces péages sont entièrement reversés à SNCF Réseau pour la maintenance et le développement des infrastructures : “Effectivement, 40 % du coût des billets correspond au péage ferroviaire. Ce péage sert à SNCF Réseau pour les investissements sur l'infrastructure, c’est-à-dire les rails, les caténaires, les passages à niveau.”
Alain Krakovitch met également en avant la péréquation tarifaire : le TGV dessert des lignes déficitaires pour assurer un service équilibré sur l'ensemble du territoire. Ces liaisons, non rentables donc, sont financées indirectement par les lignes plus lucratives, générant une solidarité tarifaire mais aussi un surcoût global répercuté sur les billets. “La moitié des dessertes de TGV ne sont pas rentables. Si on était totalement un service librement organisé, on ne desservirait pas ces dessertes non rentables. Mais on considère qu’historiquement, on a une mission d’aménagement du territoire”, explique-t-il. Un sujet qui sera mis sur la table lors des débats menés par le ministère des Transports et Dominique Bussereau, “Ambition France Transports” en mai prochain.
Selon Alain Krakovitch, les coûts liés au matériel roulant, notamment les rames TGV, sont considérables. Il réfute l’idée qu’il existerait une stratégie visant à augmenter artificiellement les prix en limitant le nombre de trains disponibles, par la radiation de rames anciennes par exemple comme on a pu le lire dans la presse. Si des rames sont retirées du service, c’est parce qu’elles sont tout simplement technologiquement obsolètes et financièrement non viables à maintenir.
“Ce n'est pas qu'on aurait volontairement mis à la poubelle des rames pour que les prix augmentent, c’est n’importe quoi. Les rames qu'on voit aujourd'hui dans les “cimetières” sont d'une technologie totalement différente de celle qu'on a aujourd'hui, complètement en bout de vie et non “récupérables”.” - Alain Krakovitch
Alain Krakovitch le rappelle : faire rouler un train à 320 km/h implique des standards de sécurité et de performance très élevés, ce qui augmente nécessairement les coûts de fabrication et de maintenance. “Cette performance, elle coûte cher, ce n’est pas donné”, insiste-t-il.
Le renouvellement du parc TGV constitue également un poste de dépenses majeur. Depuis 2018-2019, un projet de “TGV du futur” (le TGV M, dont on te parle ici) a été lancé, avec l’achat de trains nouvelle génération. Mais, comme l’explique Alain Krakovitch, “tous ces investissements doivent être financés entièrement par les billets.” À nouveau, l’innovation a un prix.
© HOURRAIL ! - Zoom sur l'intérieur des futurs TGV M !
Bien que le modèle social de la SNCF soit souvent pointé du doigt pour ses coûts élevés, Alain Krakovitch met en avant l'amélioration significative de la performance des équipes, ce qui permet de limiter ces coûts. “On travaille beaucoup sur la polyvalence, et je suis assez admiratif des équipes SNCF Voyageurs qui ont radicalement changé leur façon de travailler”, souligne-t-il.
Selon le directeur TGV-Intercités, l’ouverture à la concurrence (Trenitalia, Renfe…) crée une pression supplémentaire sur les prix des billets, car les nouveaux opérateurs se concentrent uniquement sur les lignes rentables, réduisant ainsi la marge permettant de financer les lignes déficitaires (la fameuse “péréquation tarifaire” dont on te parle un peu plus haut).
“Nos concurrents vont se positionner uniquement sur des dessertes bénéficiaires. L’équilibre national est menacé car les dessertes bénéficiaires financent traditionnellement les dessertes déficitaires.” - Alain Krakovitch
En résumé, le coût élevé du train en France résulte d’une combinaison complexe de facteurs économiques, techniques et concurrentiels : absence de subventions publiques directes pour le TGV, poids considérable des péages, entretien et renouvellement coûteux du matériel roulant, concurrence sélective et donc SNCF Voyageurs seul à faire des lignes déficitaires - pour le moment, charges sociales…
Pour rendre le train plus abordable, l’analyse d’Alain Krakovitch met l’accent sur l’idée d’une intervention politique, notamment pour une nouvelle analyse du coût des péages et du fonds de concours. À ses yeux, c’est la condition sine qua non pour faire du TGV une option plus accessible à l’ensemble des usagers, tout en préservant la mission d’aménagement du territoire et un haut niveau de service.
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